J'ai été invité le 05 mai dernier par l'association "la liberté de l'esprit" de Quimper à participer à un débat sur "Comprendre les révolutions arabes ?" autour de Yamen KOUBAA Tunisien, professeur de marketing et d’affaires internationales à l’Ecole Supérieure de Commerce de Brest.
N'étant pas en France à ce moment là, et donc ne pouvant pas participer à ce débat physiquement, j'ai tenu à laisser une contribution et je tiens à remercier au passage les organisateurs d'avoir lu une partie de cette contribution lors de ce débat.
Cette contribution, écrite très rapidement ne se veut pas être le reflet d'une vérité révélée, ce sont mes analyses à un instant t, mes réactions à des articles lus à des évênements ou la transposition de commentaires que j'ai lu et que je trouvais pertinant.
Je vous en donne ci dessous le contenu:
Le parfum du jasmin
Les changements des dernières années Ben Ali
La Tunisie que je retrouvais presque chaque année m’était de plus en plus étrangère. Les voiles islamiques remplaçaient peu à peu les superbes safsaris, ces grande étoffes blanches dont les femmes se paraient et qu’elles maintenaient avec les dents, la chaleur et la générosité de l’accueil dans les magasins et les familles se sont transformées en une agression mercantile et individualiste et partout la corruption généralisée, les bakchichs…
I L’identité tunisienne au cœur du soulèvement
Malgré l’évolution de la société, il y a des constantes à cette culture, identité tunisienne.
La schizophrénie tunisienne est une constante de cette spécificité tunisienne.
Cette schizophrénie fait le charme et en même temps l’angoisse identitaire de ce pays.
Première illustration, la laïcité et la religion. Héritage de Bourguiba, la Tunisie s’est doté de pare-feux laïcs. C’est plus qu’institutionnel, c’est une culture ouverte qu’elle a ranimé. Une Tunisie Musulmane et Laïque. La constitution précise que la religion de la Tunisie est L’islam mais place juste derrière la liberté de culte. Et dès l’introduction place l’ensemble de la constitution sous le fil rouge des droits de l’homme.
De plus les premiers textes votés par la jeune république sont en parfaite contradiction avec une interprétation stricte de l’islam. Le statut de la femme instaure des 1956 le droit à l’avortement, l’adoption légal et filial (interdit par le coran), la fin de la polygamie et l’égalité des droits entre les sexes (sauf sur l’héritage).
Enfin toute une génération de dirigeants politiques et de la classe intellectuelle post protectorat a été formée sur les bancs des écoles du protectorat où ils apprenaient leurs ancêtres les gaulois et la loi de 1905.
Deuxième illustration Le choc monde arabe-monde occidental. J’ai longtemps été surpris par ma grand-mère qui ne cesser de me vilipender sans cesse dans ces terme « arrête de manger comme un arabe, tu t’habille comme un arabe… adjectif employé à connotation négative alors que dans le même élan elle était d’une intrisangeance totale dans la défense de son identité arabe. Et il en est de même pour la majorité des tunisiens.
Il est vrai que la Tunisie a été souvent à l’écart du panarabisme du fait notamment de la rivalité forte entre Bourguiba et Nasser (père du panarabisme) né du processus d’indépendance de la Tunisie contesté par Nasser, de la protection de l’Egypte du principal opposant au Combattant suprême et de la position tunisienne dans le conflit israelo-palestinien.
De ce fait, les tunisiens n’ont cessé de se justifier au cours des années de leur arabité, comme s’ils devaient prouver leur appartenance à cette culture en même temps que l’ensemble de la société vivait à l’heure occidentale.
Ces dernières années il y a eu un retour brutal vers cette arabisation. A l’université, à l’école d’abord où les cours sont passés intégralement dans la langue du Coran, provoquant une chute du niveau de l’enseignement. Les professeurs n’ayant pas été préparés à cela. Il est vrai que l’élite culturelle et intellectuelle tunisienne a été formée à l’école française sous le protectorat puis dans les universités francophones en majorité.
À bien des égards, la jeunesse tunisienne semble comme frappée de schizophrénie culturelle. Elle est affectée, en profondeur, par deux évolutions parallèles et contradictoires. Elle est à la fois plus libérée et plus conservatrice. Plus libérée, car on assiste, chez une fraction des jeunes, à une prise de distance de plus en plus marquée par rapport à la religion, et plus généralement aux règles de la bienséance en pays islamique : audaces vestimentaires et comportementales, consommation d’alcool, permissivité sexuelle. Des symptômes d’une occidentalisation accélérée du pays. Mais, à côté de cela, et notamment depuis 1991 1ere guerre du golfe, et encore plus depuis la seconde, le retour du sentiment religieux et des valeurs conservatrices, peu ou prou liées au référent arabo-musulman, est également manifeste. La réapparition du voile, le regain de religiosité, la tentation du repli identitaire, le souci exagéré des convenances : autant d’éléments qui trahissent un mouvement de « réorientalisation » alimenté, en partie, par les télévisions arabes par satellite, très regardées, et qui ont supplanté les chaînes françaises ou italiennes dans le cœur des téléspectateurs.
Dans un article prémonitoire « Chouchoutés et encadrés » paru sur jeune Afrique écrit par Mr Samy Ghorbal ! la conclusion disait : «Avoir 20 ans à Tunis ? C’est être à la fois les enfants de M6 et ceux d’Al-Jazira. De quoi y perdre son latin. Jje crois que cet état témoigne de la schizophrénie de notre jeunesse a cheval entre l’orient et l’occident, le sud et le nord, le conservatisme et le libéralisme…une jeunesse puritaine et émancipée à la fois, une situation à faire perdre son arabe et son français! je me demande combien de temps encore nous faudrait il pour trouver notre propre identité Tunisienne et maghrébine! le chemin est encore long, mais vu la qualité qui se dégage de la blogosphére maghrébine ça me redonne confiance dans notre avenir »
La dernière illustration est le patriarcat. La figure du respect inconditionnel au père, au patron reste de mise, même si tout une part de la jeunesse, au fond d’elle-même ne reconnaissent plus la sagesse des plus anciens, ceux-ci étant eux même complètement dépassé par les mutations rapides du monde, des technologie du consumérisme à outrance.
En pays d’Islam sunnite, un principe fondamental développé à travers les siècles par les oulemas rejette de façon absolue la fitna (le désordre, le chaos, la discorde) Selon un haddith connu de tous les musulmans « la fitna est pire que le meurtre ». L’imam Malik, fondateur de l’école qui régente
L’islam au maghreb va jusqu’à recommander pour éviter la menace de la fitna de sacrifier deux tiers de la communauté pour sauver un tiers.
II La révolution de jasmin
Deux facteurs essentiels ont été fatals au régime de Ben Ali: la lassitude de la population face à la confiscation des libertés publiques et la montée du chômage des jeunes diplômés. C’est dans la négociation des libertés par un régime dictatorial, que la Tunisie a construit son développement mais «le but ultime du développement reste la possibilité, pour chaque citoyen, de pouvoir choisir librement la vie qui a de la valeur à ses yeux». Des lors ce qui était possible et admis au début de la phase de développement ne pouvait être pérenne.
Succédant à Habib Bourguiba, le président Ben Ali s’est inspiré de Lee Kuan Yiew de Singapour, en mettant en place un modèle économique axé sur l’ouverture économique, la planification du développement national, la diversification du tissu industriel et la limitation des libertés individuelles et collectives. Ce Policy-mix n’a pas été sans générer des résultats, comme l’attestent les performances économique le Pib par tête de la Tunisie a continuellement augmenté de plus de 3 % par an, permettant au pays de devenir un pays émergent ; le taux de pauvreté a subséquemment baissé pour l’ensemble du pays, se situant à moins de 4 % en 2010, contre 33 % en 1966/67.
Mais Ben Ali a malgré lui, lui-même instillé le germe de la révolte. Il a bâtit sa force sur une double stratégie depuis 1985 : comme Ben Ali l’annonçait lui-même en 1986 « Dans notre lutte contre les islamistes (et opposant), nous devons recourir à deux méthodes : la désinformation et les délinquants. Nous allons les sortir de prison pour leur confier des tâches de police » et c’est ainsi que 25 ans plus tard, i l y a autant de policiers en Tunisie qu’en France pour 7 fois moins d’habitants. Mais ce passionné d’informatique a contribué au boom tunisien du développement numérique plaçant ce pays développé à la pointe de la révolution numérique et à l’air d’internet a permis à des millions de jeunes tunisiens d’accéder à une autre information jusqu’au rapport wiki leaks. L’excellence reconnue du contrôle tunisien sur les communications internet, cette fameuse censure n’a pas été pas de taille face à la toile. Et le flux d’information a peu à peu creusé des fissures irréversibles dans le dispositif de propagande jusqu’à ce mois de décembre 2010.
3eme axe (source rue 89 Zohair Ghenania)
« Les années 2000 ont aussi vu le clan de la famille du Président profiter progressivement des fruits de la propsérité tunisienne en s'accaparant des entreprises florissantes, en monopolisant toutes les négociations avec les investisseurs étrangers et en spoliant les grands propriétaires immobiliers.
En conséquence, alors que la Tunisie disposaient d'hommes et de femmes d'affaires dynamiques, entreprenants et innovants, leur volonté de développer leurs activités se trouvait entravée soit parce que leur activisme économique pouvait menacer l'ordre économique institué, soit par ces individus eux-mêmes qui ne souhaitaient pas que leur entreprise prospère au-delà d'un certain seuil qui attirerait forcement l'attention du clan familial du Président.
En outre, une autre partie de ces hommes et femmes talentueux s'évertuaient à gagner les faveurs du palais présidentiel, convaincus qu'il s'agissait du moyen le plus sur d'accéder au prestige, à la richesse et au pouvoir au lieu de mettre leurs compétences au service de réalisations économiquement et socialement utiles.
Ce mode de gouvernance, en limitant et contraignant les aspirations des Tunisiens, commençait à nuire gravement au développement économique du pays, comme en témoignaient les signes suivants :
- des multinationales qui refusaient de s'installer en Tunisie au vu de l'appétit de « la famille »,
- une propriété pas toujours bien protégée qui sape la confiance des investisseurs et des épargnants,
- des inégalités croissantes,
- un chômage galopant notamment chez les jeunes diplômés (plus touchés par ce fléau que les non-diplômés ! ). »
III L’après …
J’ai été partagé entre beaucoup de sentiments comme beaucoup de tunisien au moment des soulèvements de décembre 2010. Dans un premier temps, le sentiment principal a été la surprise et la pondération. Beaucoup d’appréhension et une dose assez forte de crainte. Dans un second temps ce fut un sentiment de fierté qui dépasse de loin des sensations intenses vécus à d’autres moments et une sorte de soulagement, de légèreté qui même si le doute et la crainte de l’avenir demeurait, a tout balayé.
Les tunisiens ont apporté la démonstration que du désordre, la révolte, peut sortir un nouvel ordre dépassant l’interdit de la fitna.
Les tunisiens se sont montrés pour la plupart dignes, responsables et terriblement matures. Qui a déjà vu, après des manifestations si importantes, revenir des centaines de jeunes nettoyer les rues, effacer les graffitis, s’organiser pour prévenir les pillages. Et sur la question islamiste, peu aurait cru voir spontanément et massivement se lever la population pour préserver les avancées laïques de la Tunisie et même réclamer l’instauration d’une république laïque.
Quoique soit l’issu de cette révolution, c’est l’identité tunisienne qui s’est révélée, réclamant la double spécificité d’un état démocratique, laïque moderne sans renier sa culture arabo-musulmane, la combinaison des deux est possible et elle le brandit fièrement. Je pense qu’aucun retour en arrière n’est possible car le peuple tunisien a retrouvé par lui-même sa fierté, il n’est pas à la remorque d’autres pays, sa personnalité n’est pas calqué sur une autre nation, il est en train de construire une nation, c'est-à-dire des valeurs originales partagées par tous ces concitoyens. Il ne se construit pas en rapport aux autres mais avec les autres. Je reçois chaque jour des appels signés par des milliers de tunisiens réclamant que l’urgence est dans l’établissement de droit des associations véritable garde fou de la démocratie, à graver dans le marbre la laïcité, à la responsabilité des actions.
Dans le réenchantement politique de « Alain Faure, directeur de recherche en science politique au CNRS à l'Université de Grenoble » résume Toute la magie du moment tunisien est contenue dans la même combinatoire réussie au profit d'un certain idéal démocratique. Curieusement, les témoignages s'attardent peu sur les dérives et les délits du régime (pourtant considérables), comme si, au temps de l'indignation lié à la répression, devait succéder immédiatement celui des responsabilités collectives de la liberté retrouvée. Tendez l'oreille sur les déclarations émues et solennelles détaillant, avec délice et tellement de vigueur, l'adhésion aux valeurs républicaines, aux mondes de la culture et des savoirs, à l'égalité hommes-femmes, à la laïcité de l'Etat, au respect des traditions cultuelles aussi.
Au total, le moment tunisien semble tout entier construit et porté par un récit politique qui combine avec simplicité ces trois niveaux que sont les traumatismes fondateurs du territoire, les promesses de la politique et les croyances sur le service public. Le résultat ? La fulgurance des mots justes, quand leur expression publique et politique entre soudainement en phase avec des questionnements existentiels. Il s'agit assurément d'un enseignement précieux pour tous ceux qui cherchent à comprendre les énigmes du réenchantement par la politique.
Pourtant à court terme il y a encore beaucoup de sujet d’inquiétude :
1-la sécurité, les forces de l’ordre ayant été totalement déconsidérées on assiste en ce moment à une recrudescence voir une explosion d’agression, vol, démonstration de force qui terrifie la majorité silencieuse. Espérons que cela ne débouche pas sur une dictature militaire. Dernier exemple le saccage du service d’urgence de l’hopital farat hachet à sousse (3eme ville du pays) parce que les ambulances n’ont pas été assez rapides dans une intervention.
2-L’omiprésence des islamistes qui du statut de victime passe à celui de persecuteur. Loin de l’image policé des dirigeants politiques des partis islamiques, sur le terrain les activistes n’hésitent plus à menacer devant les université les femmes non voilées, d’agresser physiquement les manifestations laics …
La conséquence sera peut-être inverse dans la constitution d’un front anti islamiste par « la majorité silencieuse »
3-L’économie totalement fragilisé que ce soit le tourisme ou plus préoccupant la fermeture quotidienne des usines notamment loi 1972 (usine étrangère de production délocalisée texgtile call center) du fait de la multi^plication des grèves et des blocage pour des motifs parfois totalement anodin. La situation s’amiélore cependant ces derniers temps, les tunisiens se montrentg encore une fois d’une responsabilité exemplaire.
Je reste cependant optimiste pour le long terme, le choix d’une transition par « Constituante », le maintien de la volonté de listes paritaires, et surtout la vigilance des nouveaux citoyens donnent des bases solides pour la réussite de ce changement
Je conclurai en citant Abou ElKassem Echabi, poète tunisien (integré dans l’hymne national «Lorsqu'un jour le peuple veut vivre…Force est pour le destin de répondre Force est pour les ténèbres de se dissiper Force est pour les chaînes de se briser.»